Bahia Colorada et la Culture d’Englefield : la première adaptation maritime en Patagonie australe

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Responsable :
Dominique Legoupil, directrice de recherches – UMR 7041 ARSCAN – CNRS
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Bahia Colorada et la Culture d’Englefield : la première adaptation maritime en Patagonie australe

Le site de Bahia Colorada, a été fouillé entre 1984 et 1987 sur l’île d’Englefield. C’est sur cette île que, dans les années 1950, José Emperaire avait mis pour la première fois en évidence l’ancienneté du peuplement des archipels (qu’on croyait jusqu’alors assez récent), grâce à des datations de 8000 à 9000 BP comportant des marges d’erreur très importantes. La découverte de nouveaux sites, la datation de 5500 BP de Bahía Colorada (encore que peu sûre en raison de l’incendie récent de la zone), et surtout une nouvelle datation de 6100 BP obtenue pour Englefield, montrent que la première adaptation maritime en Patagonie et Terre de Feu doit être ramenée à cette période du milieu de l’Holocène.

L’étude de Bahia Colorada, site jumeau également situé sur l’île d’Englefield, a contribué à définir ce qu’on peut aujourd’hui considérer comme “la Culture d’Englefield”, typique des premières occupations maritimes de la région de la mer d’Otway et du détroit de Magellan. Elle se caractérise par une économie fondée sur la chasse aux pinnipèdes (essentiellement des Arctocephalus australis), secondairement aux oiseaux, tandis que le rôle des coquillages y est très limité. Son équipement est constitué d’une l’industrie lithique bifaciale sur obsidienne et d’une industrie sur os de mammifère marin. Malgré des similitudes frappantes avec l’équipement de Punta Baja (globalement les mêmes armes et les mêmes outils sur les mêmes matériaux), elle est cependant identifiable grâce à des détails morphologiques propres (l’embase cruciforme des harpons, la dimension plus grande et plus globuleuse des pointes bifaciales et leur absence de pédoncule), des particularismes comme le décor géométrique gravé sur certains harpons, ou encore par la présence de quelques outils typiques (les couteaux allongés, les pièces biseautées sur radius d’otarie) (fig. 4). Ce faciès est étroitement apparenté à l’équipement observé dans les sites anciens du canal Beagle, quoique l’obsidienne soit absente de cette région. A ce second noyau appartient le site du seno Grandi que nous avons découvert sur la côte sud de l’île Navarino et qui représente le site ancien (6200 BP) le plus austral connu dans l’hémisphère sud.

L’origine de l’adaptation maritime en Patagonie reste inconnue : s’agit-il de chasseurs terrestres acculés dans les îles comme le permettrait leur présence dès le début de l’Holocène dans les steppes atlantiques et jusqu’à proximité du détroit de Magellan (grotte Fell) ? ou de groupes maritimes ayant progressé le long du littoral pacifique à partir du sud-Chili, comme le suggère la soudaineté de l’apparition de cette culture très typée et parfaitement aboutie ?

La clé du peuplement maritime de la région australe se trouve sans doute dans la zone centrale des archipels, entre les latitudes 44° et 50°, passage obligé entre le nord et le sud. Nos premières tentatives de prospection dans cette région ne nous ont pas permis de découvrir le chaînon manquant pour le milieu de l’Holocène, période de la première adaptation maritime observée dans la zone australe. Le témoin le plus ancien que nous ayons découvert, une sépulture en grotte de l’île Madre de Dios, n’a été daté « que » de 4500 BP. Mais, cette vaste région d’accès très difficile est très peu fréquentée et la visibilité des sites y est extrêmement réduite en raison de la présence de la forêt vierge magellanique. Nul doute que beaucoup y reste à découvrir…

Figure 4. L’équipement typique de la Culture d’Englefield (sites d’Englefield et Bahia Colorada) : harpons à embase cruciforme et pointes multibarbelées sur os de cétacé, pièce biseautée sur radius d’otarie, pointe bifaciale et couteau sur obsidienne.

 


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