Khirbet adh-Dharih : Le village et le sanctuaire nabatéens

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La mission archéologique franco-jordanienne de Dharih est un programme de l’UMR 7041 ArScAn du Ministère des Affaires Étrangères français et de l’Ifpo ; du côté jordanien, la Faculté d’archéologie et d’anthropologie de l’Université du Yarmouk principalement, et le Département des Antiquités. Une forte collaboration avec l’Université de Varsovie s’est instaurée pour s’occuper des périodes historiques relativement tardives.  La mission est codirigée par F. Villeneuve et Z. al-Muheisen. On est là, à l’époque pré-romaine et romaine, dans le monde nabatéen, à une centaine de kilomètres au nord de Pétra, mais à la campagne et sur l’une des deux routes nord-sud principales du Levant ancien. Ce programme fut entamé en 1983 sur les conseils de deux grands savants français, Jean Starcky et Ernest Will, et d’un éminent archéologue jordanien, Fawzi Zayadine. Avec 15 campagnes de terrain jusqu’à 2013, et des campagnes d’étude (“post-fouilles”) annuelles jusqu’en 2022 au moins, il a pour objectif de traiter dans toutes ses composantes une localité de taille moyenne, 500 m de diamètre (agglomération rurale, mais sanctuaire développé, et halte caravanière importante) :

  • fouilles extensives des différentes composantes (temple et autres éléments du sanctuaire) ;
  • éléments périphériques au sanctuaire : quartier sur la voie d’accès, édifice compact à côté du sanctuaire ;
  • maisons rurales et « demeure seigneuriale » ;
  • huileries ;
  • tombes ordinaires et tombeau monumental.

Il a eu pour but aussi d’établir une séquence chronologique complète pour ce site dont la période monumentale unique est nabatéenne et nabatéo-romaine, mais qui a connu plusieurs autres phases importantes. L’approche est notamment celle de l’archéologie architecturale classique et de l’iconographie, mais doublée d’une étude stratigraphique systématique, d’un gros programme céramologique sur les échanges et d’une étude environnementale et archéoanthropologique, plus récemment d’études sur les inscriptions et graffites sémitiques,  ainsi que d’opérations généralisées de conservation architecturale, d’anastylose partielle et de mise en valeur touristique. Dharih se trouve en effet dans la magnifique vallée du Laaban, très calme et épargnée par les constructions modernes.  Grâce à ces efforts, Dharih (ou : le site) est aujourd’hui protégé par une clôture, gardé par les soins du Service jordanien des antiquités, en assez bon état architectural, et occasionnellement visité par les habitants de la région et par des groupes de touristes.

Le programme de Dharih a produit des résultats qui ont valeur de modèle  provisoire pour les phases de sédentarisation et de développement dans le sud du Levant intérieur. Il y a d’intéressants restes d’occupations protohistoriques : Néolithique avec céramique PNA vers 6 150 av. J.-C. ; âge du Bronze ancien, principalement I et II (2è moitié du 4ème millénaire, début du 3ème) ; âge du Fer II (à partir des 8ème-7ème siècles) jusqu’à l’époque hellénistique précoce). Mais l’établissement sédentaire principal ne commence qu’à l’extrême fin du Ier s. av. J.-C., voire au début du Ier s. apr. J.-C. ; il est pourvu dès le départ d’un sanctuaire, dont la création est sans doute la cause de la fixation d’une agglomération rurale.
Un saut quantitatif et qualitatif majeur se produit vers 100 apr. J.-C., avec l’apparition d’un vaste sanctuaire très décoré, à plusieurs parvis, d’une agglomération et d’une nécropole structurées (dans les deux cas : un monument majeur attribuable à la grande famille de la vallée — probablement celle du “chef de la source du Laaban”, que mentionne une inscription du tout proche sanctuaire perché et isolé de Tannour, dépendant de Dharih —, et des constructions banales et peu différenciées correspondant aux paysans). Ce mouvement n’est pas créé par l’annexion romaine de 106 apr. J.-C., mais il en est accéléré et renforcé. L’essor se poursuit durant tout le 2ème siècle (travaux multiples au temple par exemple) et encore au début du 3ème (adjonction de trois salles de banquet à l’entrée sud du sanctuaire).

Un repli apparaît dès le courant et surtout la fin du 3ème siècle : disparition de la céramique de luxe nabatéenne, abandon d’une zone de thermes et caravansérail sur les accès au sanctuaire, puis démantèlement des trois salles de banquet susdites. Vers 360 après J.-C., tout est abandonné, pour près de deux siècles, peut-être des suites du très grave séisme du 19 mai 363, qui secoua toute la région.

Une réoccupation, restreinte mais dense, de la période byzantine et omeyyade intervient entre le 6ème et le 9ème siècle. Elle est successivement chrétienne, puis musulmane (du moins, le maître du domaine étant musulman, Hâshim ibn Shâbûr, curieusement un Iranien par son père). Elle se concentre dans la première et principale cour de l’ancien sanctuaire, et prend la forme d’un hameau composé de maisons, d’ateliers, tel une huilerie, d’un bain. L’ancien temple est transformé en église, puis en résidence au temps de Hâshim ibn Shâbûr (?). La découverte de l’islamisation précoce, dès la fin du 7ème siècle, de ce site rural est un des apports surprenants de ce programme : on s’écarte ici d’un modèle courant plus au nord dans les actuelles Jordanie et Syrie, où les villages sont en général restés longtemps chrétiens.
Enfin, autre particularité, mais dont on ne sait encore si elle est une exception locale à une règle quasi-générale au Proche-Orient rural ou si elle a valeur de modèle dans cette région, l’Edom antique, al-Jibâl depuis le Moyen-Âge : il n’y a aucune réoccupation villageoise aux époques  ayyoubide et mamelouke aux 12ème-15ème siècles.  En revanche, sensiblement plus tôt, on y a trouvé un très pauvre établissement d’époques abbasside tardive et fatimide (10ème – 11ème siècles).

 

Bibliographie :

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